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Orígenes del proyecto/ Origines du projet 

Ce projet est né d’une série de questionnements autour des pratiques de l’ethnographie, du rôle des images et des objets dans l’histoire de l’anthropologie, ainsi que sur les possibilités offertes par les langages visuels/artistiques de construire des récits réflexifs sur les univers ethnographiques.

 

Même avant la découverte d’Amérique et les explorateurs de la renaissance, on retrouve les premières formes de connaissance des autres dans les travaux des collectionneurs de texte et objets anciens (Falguières 2006). Dans ce contexte, l´élection, comme le tri et la mise en place de ces objets, images, etc., se sont constitués très tôt comme des principes parmi lesquels ces « primitifs » étaient non seulement connus, mais aussi pensés et communiqués à la société occidentale, qui construisait à partir de ces traces matérielles un imaginaire des communautés culturellement différentes. Ainsi les cabinets de curiosités puis les musées furent et sont-ils encore de nos jours des espaces incontournables de la rencontre culturelle, dans la plupart des cas marqués par l´ethnocentrisme européen. Cependant, les ethnologues modernes, soucieux d´éviter la myopie ethnographique engendrée par la collecte d´artefacts et le fait de ne valoriser que le plus voyant de la pratique culturelle, se sont détachés du visible et de la culture matérielle pour se réfugier dans le mythe, le fait du langage, l´univers du récit (Dufrêne and Taylor 2009). Désormais la question de la dimension matérielle de la culture demeure principalement dans le domaine de l´archéologie et de l’histoire de l’art.

À partir des années 1980, on observe une émergence des études autour des objets et de la culture matérielle au sein de l’anthropologie (Julien and Rosselin 2005; Miller 2005; Buchli 2002; Miller 1998), cette fois depuis un point de vue conçu pour dépasser l’idée de l’objet témoin et penser la culture matérielle comme un « agent » actif dans la vie sociale, qui mobilise des réponses émotionnelles, entraînant des idées, des actions et des processus sociaux (Gell 1998).  A travers ce type de recherches, qui mettent au centre de leur réflexion les images, les matières, ainsi que l’expérience sensorielle quelles mobilisent, l’anthropologie s’est approchée doucement des réflexions menées dans le domaine de l’archéologie, et l’histoire et théorie de l’art.

 

Ce type de pensée se rapproche fortement des réflexions déclenchés par le projet intellectuel inauguré au début du XXème siècle par des théoriciens et philosophes comme Aby Warbourg, August Sander et Walter Benjamin, dans le domaine de la philosophie, l’art et l’histoire de l’art.  Cette mouvance théorique a marqué un bouleversement dans mode dont l’histoire des sociétés était comprise, notamment par rapport au rôle attribué aux matérialités (objets, images, etc.) dans la construction et l’analyse d’une histoire, désormais comprise comme non linéaire et dialectique (Guasch 2011). Depuis les années 1970 on observe une tendance des artistes héritiers de ce projet envers l’archive ou les arts de la mémoire (Guasch 2005). A travers leurs travaux, des artistes comme Susan Hille, Christian Boltanski et Mark Dion, mettent en question non seulement la manière de penser et de comprendre la société, mais aussi le travail anthropologique en soi (Vilches 2007). Ces démarches questionnent, entre autres, l’hégémonie de l’écriture, du récit et de la pensée logique dans le travail anthropologique, en même temps qu’elles mettent en avant d’autres possibilités analytiques et communicatives que celles de l’écriture scientifique.

Toute cette tradition artistique et théorique interpelle directement l’anthropologie, ses méthodes et le savoir quelle construit. Cependant ce type de pratiques visuelles continue à occuper une place plutôt marginale dans la discipline.

Bien qu’il existe une vaste production en anthropologie de l’art, ce type de recherches ont eu tendance à considérer les œuvres comme juste comme un objet d’analyse ethnographique, c’est-à-dire, quelque chose qui est extérieur à celui qui observe. Pourtant, comme le signale Tim Ingold, nous n’acquérons pas de connaissance en nous situant hors du monde, nous ne connaissons que parce que nous sommes dans le monde et nous participons à ces différents devenirs (Ingold 2017, 28). Le savoir anthropologique alors ne peut se construire qu’à travers l’engagement directe, pratique et sensuel au sein de notre environnement, dans ce sens,  le développement de la pensée doit être accompagné et répondre continuellement aux flux des matériaux avec lesquels nous pensons à travers eux (Ingold 2017, 29). Dans cette perspective l’anthropologie est être avant tout une pratique, caractérisée par une relation de Correspondance avec le monde.  Cependant, anthropologues ne sont pas nécessairement les plus praticiens, à différence des artistes en exercice. Ingold insiste alors sur l’importance de repenser la relation entre l’art et l’anthropologie, notamment à partir de leurs pratiques plutôt que de leurs objets historiques et ethnographiques, respectivement. Il s’agirait de faire une anthropologie avec l’art, plutôt qu’une anthropologie de l’art.  Il se demande donc, si les œuvres d’art ne pourraient-elles pas être envisagés comme des formes de l’anthropologie bien qu’écrites dans un medium non verbal : l’anthropologie a incorporé déjà photos, vidéos, dans sa démarche pourquoi donc ne pas utiliser aussi d’autres formes plastiques comme les dessins, peintures, ou même des productions artisanales ?

 

A partir de toute ces réflexions, j’ai voulu me lancer dans un exercice ethnographique dans lequel les matérialités seraient non seulement « l’objet d’étude », mais aussi les outils et le langage selon lesquels un récit sur cette expérience serait construit. Notamment je me suis intéressé à l’expériences quotidienne :  les espaces et les modes dont elle se réalise. Le quotidien n’est pas un espace facile à explorer.  C’est le monde bien connu auprès duquel je vis, agis et pense dans une ambiance continuellement familière (Bégout 2005). Ce qui nous ait de plus proche, ce qui arrive quand il n’y a rien qui arrive (Giannini 1999),  c’est pourquoi il demeure souvent dans l’invisibilité, couvert par une sur-présence quotidienne (Bégout 2005).  Pourtant c’est dans l’humble niveau du quotidien que la vie sociale et culturelle se réalise, où les grands problèmes arrivent et se résolvent, et aussi où les systèmes de domination ou résistance agissent.

Les objets et autres matérialités domestiques, en tant qu’éléments constitutifs du quotidien, semblent subir le même sort.  C’est justement grâce à son invisibilité qu’ils sont très efficaces en conditionnant les comportements humains, dans la mesure où ils limitent ou permettent les attentes et réponses (Miller 1998). C’est pourquoi une observation centrée sur ces aspect (matérialités-objets), censées banales, permet d’enlever cette voile d’invisibilité et faire émerger des aspects et problématiques qu’une anthropologie plus littérale, a eu tendance à négliger.

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